Cette cour elle fait une quarantaine de pas de long et une quarantaine de pas de large : je le sais parce que je l’ai fait, j’ai compté !

En temps normal nous allons tous les matins avec Luc-Antoine, boire notre café à l’Express de Paris, en terrasse. Dès les premiers jours du confinement ça s’est avéré évident qu’il fallait qu’on sorte pour boire le café devant les fenêtres de Madame D. On a donc continué au même rythme qu’avant le confinement et on est descendu boire le café dans la cour. Très rapidement il y a une vie sociale qui s‘est installée ici, qui a remplacé de façon convaincante les relations sociales qu’on a à l’extérieur habituellement.

Je descends donc maintenant dans la cour pour boire le café, et pour rencontrer les gens, mes voisins.

J’y cours aussi depuis qu’il est interdit de courir dehors entre 10 et 19h. En fait, quand je fais mon jogging, je fais le tour complet de tous les petits trottoirs qui bordent cette cour et comme c’est ennuyeux de compter combien de tours je fais, j’ai dans ma poche des boutons, j’en ai une dizaine. À chaque fois que je fais un tour complet je change un bouton de poche. Le bouton passe de la poche gauche à la poche droite et comme ça jusqu’à épuisement des boutons dans ma poche. C’est mon côté Petit Poucet. Quand la poche gauche est vide, j’arrête de courir!

J’ai très souvent essayé d’imaginer cette cour à la construction des immeubles qui datent des années 70, et j’ai toujours pensé qu’il y avait eu une vie très joyeuse. Ça m’a d’ailleurs été confirmé par une des propriétaires, Simone, qui a dit que ce qui se passait en ce moment lui rappelait les années 70.

Moi je vis très bien ce confinement. J’ai aucun problème avec cette affaire. Si ce n’est qu’après il y a des avis contradictoires dans les médias : est-ce que c’était utile ? est-ce que ce n’était pas utile ? ça j’en sais rien, économiquement, d’un point de vue de la santé publique, je ne sais pas. Mais en tout cas d’un point de vue individuel, je trouve que cette rupture dans le quotidien est complètement incroyable.

Je ne suis pas sûre qu’il y ait quelque chose qui me manque. Je pense que… non, je ne crois pas… enfin c’est-à-dire, ce n’est pas assez long pour qu’il y ait quelque chose qui me manque vraiment. Dans la mesure où personne n’est malade ou gravement malade ici c’est comme un moment d’insouciance. Il y a un côté qui ressemble à l’insouciance de mes vacances quand j’étais enfant.

C’est une vraie parenthèse.

Je pense que ça va nous tomber sur la figure après. En tout cas économiquement. Moi je suis comédienne. Qu’est ce qui va se passer dans les théâtres après si on continue à avoir peur de ce virus ?

Dès le début du confinement j’ai lancé un groupe d’écriture avec quelques amis. On a un thème et au bout de quelques jours les gens qui font partie de ce groupe m’envoient un texte puis nous lisons avec Luc-Antoine et une autre personne qui fait partie de ce groupe, les textes en visio-conférence.

Je trouve ça incroyable ce qui se passe dans cette cour : j’ai par moment l’impression d’être au Club Méditerranée de la rue du Pressoir.

Marie Christine, 61 ans. Habite ici depuis 1984, peut-être 1985, en colocation, puis y a vécu en couple et en mère de famille.