La cour je la vois comme notre 3e poumon, par ces temps de confinement. C’est l’endroit où on peut respirer, où on continue à vivre. C’est aussi mon terrain de foot, avec un petit coin où on peut récupérer.

Ce que j’y fais c’est essentiellement de l’activité sportive, justement avec mes co-confinés. Et ça c’est indispensable. C’est une des rares activités qu’on peut faire en famille. Je viens aussi y chercher un peu de sociabilité avec des gens qu’on ne voit habituellement pas si souvent que ça, même si on les côtoie. C’est une occasion de les voir différemment.

Les autres dans la cour, je les vois en fait comme des compagnons de cellule. Ça reste un espace de vie, contraint, clos. J’aime bien l’idée de la prison ou du sous-marin, même si là on est dans des conditions confortables, on n’est pas dans une cellule, c’est une prison dorée.

On partage tous le même sort, on est tous enfermés et on est obligés de composer. Il y a des gens qui ne respectent pas le fragile équilibre du « vivre ensemble », ceux qui, avec mes critères à moi, ne respectent pas les règles. Des gens qui promènent leur chien et qui les laissent chier là où y a tout le monde. Là ça me fait réagir. À part ces petites exceptions je trouve que c’est un écosystème qui s’autogère plutôt bien. Visiblement on fait tous beaucoup d’efforts pour continuer à vivre ensemble et différemment. Il n’y a pas de débordements, les interactions sont bonnes.

Ce qui me manque le plus depuis le début du confinement c’est la liberté de mouvement au-delà des 100 km. C’est vraiment une grosse contrainte. Ça, ça me pèse beaucoup. C’est le seul truc qui me pèse. Je commence à me sentir très impatient. Maintenant il est temps. Je n’ai qu’une envie c’est de franchir cette barre des 100 km et d’aller au-delà.

Je me sens aussi impatient de voir comment on va tirer les conséquences de ce qui s’est passé. Pour réinventer peut-être un nouveau monde, une façon de faire. En fait c’est un message ça. Il y a une leçon à en tirer. Est-ce qu’on fait comme avant dès qu’on est tous déconfinés, ou est ce qu’on se dit « tiens, ça nous a appris des choses sur la manière d’interagir tous ensemble, de coexister ». On fait tous visiblement partie d’un écosystème : un Chinois bouffe une chauve-souris sur un marché à Wuhan et ça a un impact 10 000 km plus loin. On en fait quoi de ça?

C’est le premier stade, la prise de conscience. Après, je n’ai pas les moyens d’agir, pour l’instant.

J’ai envie qu’on se pose et qu’on y réfléchisse. J’ai envie de réflexion humaine, d’intelligence collective pour débattre du sujet. Visiblement tous nos destins sont liés, on est tous interdépendants. On est tous co-responsables de ce qui peut arriver. C’est une démonstration évidente. On n’a jamais connu ça. La grippe espagnole ça s’est passé sur deux continents, là c’est les six continents qui sont touchés. Je suis très curieux de voir comment on va prendre du recul pour gérer cet univers qui nous appartient à tous, comment on va changer notre façon de commercer ensemble, notre façon d’utiliser les ressources.

Si ça, ça nous est arrivé, c’est qu’il faut en tirer un truc bien, positif. Ça a introduit un changement dans la manière de faire les choses, notamment au travail. Je n’ai pas la solution mais ça a posé la question de « mon business » à moi. Est-ce qu’on peut continuer comme avant, est-ce qu’on peut continuer dans la même lancée, quels genres d’ajustements on apporte dans la façon de faire, sur les volumes, sur les modalités, sur les produits, sur la manière de concevoir?. Tu as vu les prises de parole de Hulot là sur la logique de décroissance?

La belle histoire c’est qu’on va se poser les vraies questions. Y a un moment faut qu’on comprenne comment c’est arrivé cette histoire-là, l’histoire du labo P4, comment ça a pu se produire, à quoi on joue en fait? Comment ça se fait que maintenant on n’est plus autonome du point de vue de la santé, de la production de médicaments? Comment on a pu être tellement dépendant pour les masques? Comment on a pu se mettre en péril en faisant de tels choix sur l’hôpital ces 15 dernières années? Qu’est-ce qu’on fait de tout ça maintenant? Quelles sont les voix qui vont se faire entendre pour se dire « là où on va visiblement ça nous amène dans un gouffre »? D’un seul coup il se passe un truc du côté de dame nature : c’est toute notre vie qui est en péril, tout notre système économique, tout notre système de santé, tout notre système politique.

C’est ça qui donne le vertige!

Pascal, 51 ans, confiné avec Sophie, la femme de sa vie, et leurs 3 garçons.