Quand j’étais petite on venait tout le temps dans la cour. En fait j’étais très copine avec une fille qui habite au 3e, on s’est rencontrées grâce à la cour. J’admirais sa grande sœur qui était plus grande que moi. Et puis c’était des moments où je jouais beaucoup avec mon père, au ballon, à chat. Il m’y a appris à faire du vélo. Je me souviens aussi que quand on était petites on y venait tous les soirs avec Alexandra après l’école, et on jouait aux poupées pendant des heures. C’est vraiment un lieu de mon enfance.

Je viens dans la cour quand il y a un trop plein de chez moi. Parfois il y a un peu de tensions. Parce qu’on est tout le temps les uns sur les autres, même si ça se passe bien. Donc c’est pour moi un moment d’apaisement. Quand je vais dans la cour je ne prends jamais mon portable, c’est un moment où je me déconnecte : soit je lis, soit j’écris. C’est un moment où je regarde pas mal ce qui se passe dehors, où je n’ai pas de pensées parasites. Ça fait vraiment comme un calme et il n’y a pas de « là je pourrais faire ci, là je pourrais faire ça ». C’est un peu hors du temps. Vu qu’on est tous ensemble, on est tous dans le même bateau, tous ensemble dans cette cour, comme dans une sorte de recueillement.

C’est aussi un lieu où tu rencontres l’autre de façon plus spontanée, il y a moins de règles, de «Bonjour, je m’appelle Garance, je suis à la fac, j’aime beaucoup le théâtre, et le cinéma et machin chouette… »,  et du coup ça crée des rencontres plus inattendues.

Il y a des jours ça va très bien, et d’autres où je vois le temps passer et je me dis que j’ai plein de temps, que je peux faire plein des choses, et puis je suis prise d’une flemme monstre et je ne fais pas ce que je voudrais. Du coup ça me frustre pas mal.

Ce qui me manque le plus ce sont mes attaches à l’extérieur. Notamment les cours, qui me manquent beaucoup. Le fait de prendre le métro le matin, de retrouver les personnes que j’aime à mon université. Vu que je suis amoureuse, la personne dont je suis amoureuse me manque aussi énormément. Les retrouvailles avec ces personnes-là me font un peu peur. Parce que je me dis « est-ce que ce sera comme avant? ». On vit tous séparément, j’appelle des amis et on se rend compte que c’est pas qu’on n’a pas grand-chose à se dire, mais que parler de ce qu’on a fait ça n’a pas trop d’intérêt puisqu’on fait tous des activités qui peuvent sembler banales. Du coup c’est l’après confinement qui m’interroge. Je me dis, est-ce que les rapports avec les autres seront pareils? C’est un peu en suspens tout ça.

Je me suis remise à la musique. Je faisais de la clarinette depuis que j’ai 7 ans et je n’en avais pas fait depuis longtemps parce que j’avais arrêté le conservatoire puis les cours particuliers. Laurent qui organise des concerts, est venu nous voir en nous demandant si on voulait faire un truc dans la cour. C’était vachement bien. Du coup ça me donnait des objectifs, je devais répéter et puis on avait des rendez-vous pour les répétitions, je me disais bon ben là dans trois jours j’ai un concert. Ça m’a beaucoup rapprochée de ma sœur, Fanny. Elle m’a appris à faire du piano. On chante toutes les deux. C’est un vrai truc dont j’avais envie avec ou sans confinement. C’est venu assez naturellement, un peu comme une évidence.

Heureusement qu’il y a la cour en fait. Il y a des choses assez belles qui se sont créées. Et puis moi ça m’a permis de renouer avec des voisines avec qui j’avais perdu le contact il y a très longtemps. J’espère que ce ne sera pas comme une vague, qu’on ne fera pas comme si on ne se connaissait plus après, qu’il y aura un lien qui subsistera.

Garance, 19 ans. Confinée avec ses parents et sa sœur Fanny 16 ans.