Monolithes

Une tour bleue flotte dans la brume, au milieu d’une étendue d’eau. On se frotte les yeux mais elle persiste, fixée sur la surface photographique, évidente et pourtant incertaine, irréfutable et suspecte à la fois.
Sur une autre photographie apparaît la même tour, ou sa jumelle. Elle s’élève ici au bord d’une route enneigée. Ailleurs encore, on l’aperçoit au milieu d’une modeste station de sports d’hiver. Plus loin, ce sont d’autres éléments, rochers lisses ou sphère sans défaut, qui dispersent ce même bleu – uniforme, ni dur ni tendre – dans des lieux alternativement cinégéniques ou ordinaires, urbains ou forestiers. La succession des images fait naître le sentiment que ces formes bleues sont désormais partout. Que font-elles là ? Qui les a mises ici ? Et surtout : que suis-je en train de regarder ?
Monolithes, la nouvelle série photographique de Vincent Fillon, renouvelle et déplace son travail sur les paysages impossibles et l’acte de vision. Les transparences d’Entre deux superposaient en trompe-l’oeil deux espaces désaffectés, qui en produisaient un troisième, discrètement incohérent. Au fil des images composant We were here, des sources lumineuses rayonnaient dans la nuit des forêts, distillant le mystère gothique de présences sans nom.
Dans Monolithes, ces deux approches ont fusionné : l’art du trompe-l’oeil se met au service d’apparitions énigmatiques qui empruntent cette fois au répertoire de la science-fiction.
Totems sans signe, habitacles sans ouverture, ces formes azurées ont colonisé notre monde sans que l’on sache si leur annexion est menaçante ou pacifique. Et le mystère de ces objets non identifiés infuse dans le paysage : ils réenchantent les forêts, troublent la perception des villes, déstabilisent les idées toutes faites que nous avons des espaces habités. Avec cette série, le photographe poursuit sa réflexion sur la part de fiction qui toujours se loge au coeur de ce que le regard tient pour vrai. Cependant, ces trompe-l’oeil ne cherchent pas à nous tromper – ou du moins pas longtemps. Les monolithes manquent ici de profondeur ; là de matière ; ce sont manifestement des rajouts. Mais cette imperfection est leur éthique : ils ne veulent imposer ni discours certain, ni simulacre imparable. À la perfection de la réinvention numérique, qui travaille à gommer toute séparation visible entre le réel et les illusions qui l’augmentent, Vincent Fillon oppose un geste ancien et presque tombé dans l’oubli, celui du cyanotype, ce procédé photographique à base de sels de fer inventé il y a presque deux cents ans. En accueillant cette technique, les paysages de la série deviennent des colonies du temps. Ce que l’artiste rend visible dans les espaces du contemporain, à travers des formes qu’on croirait venues du futur, c’est la survivance d’un passé où la photographie naissait du travail de la main, de l’action du soleil. Ainsi Monolithe expose, sous les dehors d’une science-fiction impassible, le procédé de sa fabrication – et celui par lequel nous, spectateurs, fabriquons nos propres croyances dans les images que nous regardons.

Xabi Molia

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