On avait des copains qui appelaient la cour la rondelle. C’est avant tout un ovale de gazon qui passe très vite du vert au jaune paillasse, ceint par une route en bitume, puis il y a deux petites oreilles, une côté boulevard et une côté rue qui sont mes endroits privilégiés pour me poser.

J’aime bien être au pied de chez moi, un truc un peu casanier, sous mes fenêtres. C’est ensoleillé.

Dans la cour je viens chercher plein de choses… du soleil, de l’air de la lumière, des végétaux, un bout de nature et des voisins à qui parler. Et puis un peu de tranquillité, Célia elle est bien mieux ici que dans l’appartement pour élever ses fourmis, ses gendarmes et surtout ses escargots. Je viens lui donner un peu de liberté, de respiration.

Je trouve que dans la cour l’autre est le bienvenu, on descend en confiance. Tout le monde est plutôt bienveillant.

Il ne nous manque pas grand-chose parce que je l’ai décidé. Je ne suis pas trop comme ça d’habitude, je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas écouter ses manques, ses peines, ses douleurs sous prétexte que des enfants meurent de faim dans le monde. Mais là je le vis juste comme d’autres conditions de vie, presque comme si c’était normal et justement j’ai peur que cela devienne normal.

Cela dit ça faisait longtemps que j’attendais la possibilité de faire un peu plus de yoga, d’intensifier ma pratique. Je me suis dit que ça serait un élément important de ma défense immunitaire, je m’y suis mis et il y a plein de truc squi se sont installés très rapidement dans mon corps.

Pour moi ce confinement n’est pas une expérience, je ne veux pas trop regarder ce qui me manque. J’ai été inondée par les médias, ou par des copains de catégories socioprofessionnelles un peu élevées, de propositions assez romantiques. On nous demandait d’analyser ce que le confinement faisait en nous, ce qui nous traversait…

Mais le confinement ce n’est pas du tout romantique… Je travaille dans le secteur de la grande précarité et ce confinement c’est des gens qui crèvent la dalle car ils sont privés de ressources, c’est des gens qui meurent, qui sont isolés, qui sont tout seuls.

Je peux dire un truc qui aussi me met en colère après le romantisme du confinement, c’est l’après. Tout le monde dit que c’est une excellente opportunité, pour apprendre à changer. Faut pas se voiler la face, on va nous faire un chantage à l’emploi énorme, on va nous faire un chantage à la crise économique et tout va repartir comme en quarante sous prétexte que si ce n’est pas le cas, des millions de gens seront au chômage. Cette crise elle va créer encore plus d’inégalités.

Audrey, 48 ans, confinées avec son compagnon et sa fille.