Vincent Fillon, pas de côté
par Olivier Namias, portrait paru dans D'A n°223, janvier 2014
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Il y a deux photographes en Vincent Fillon : le premier est au service des architectes et rend compte de leur production avec rigueur et application. Le second documente, explore ou met en scène les espaces construits et les paysages, grattant le vernis du réalisme pour emmener le spectateur vers un ailleurs.
Mystérieux sont les chemins qui mènent à l’image d’architecture. Vincent Fillon, qui compte parmi la vingtaine de photographes français régulièrement publiés par les revues hexagonales, a commencé son parcours par une formation des plus techniques : « Diplômé de Louis-Lumière, je suis sorti de l’école au moment où l’industrie photographique était complètement bouleversée par l’apparition du numérique et débauchait plus qu’elle n’embauchait. Je me suis alors tourné vers le multimédia, tout en répondant ponctuellement à tout type de commande.»
Il s’essaye au portrait, mais se retrouve plus à l’aise vers l’image de paysage et d’architecture. Après avoir réalisé un portfolio centré sur ce thème, il entreprend de démarcher agences et institutions spécialisées dans l’architecture. Il finira par obtenir une commande de l’Arsenal, qui le charge de réaliser les images illustrant son Guide de l’architecture à Paris.
Un travail sur-mesure pour qui cherche à percer : 200 vues uniques informatives, pensées pour une publication en noir et blanc et petit format. Le nombre de bâtiments documentés s’élève aujourd’hui à 600 ! Cette commande lui donne accès à des missions approfondies sur un bâtiment unique : il photographie la tour Lopez pour le compte de la BNP, du chantier à la livraison. Il réalise aujourd’hui une trentaine de reportages par an, sur des sujets allant d’appartements à des projets représentant des morceaux de ville, tel le campus de ThyssenKrupp, conçu par Chaix & Morel. Ses commanditaires sont les architectes ou des maîtres d’ouvrage.
Goût pour la solitude, rigueur et patience. Voilà, pour Vincent Fillon, les qualités fondamentales d’un photographe d’architecture. Une certaine dose d’instinct, aussi : « Je ne cherche pas à comprendre les aspects historiques du projet, je ne me pose pas non plus en critique, j’essaye plutôt de comprendre les intentions de l’architecte, à la manière d’un utilisateur.
Le projet doit être évident, autrement c’est que quelque chose ne fonctionne pas », développe Fillon, qui affirme toutefois n’avoir jamais été confronté au cas extrême où un architecte estime qu’il est passé à côté de son bâtiment. Observateur minutieux, le photographe opère d’abord une première mise à distance avec le regard du concepteur, par exemple sur la question du détail d’architecture : « Le maître d’oeuvre demande parfois des images de matière ou des plans rapprochés. J’estime qu’un détail doit se lire sur un cadrage qui dépasse le plan serré. » Il peut aussi tourner le dos au ciel bleu, qui est un code du genre. « Les questions d’orientation interviennent. Une façade nord se retrouvera à contre-jour sous un plein soleil. J’essaye d’expliquer à l’architecte qu’une image de nuit ou par temps couvert révélera mieux le projet et apportera des matières intéressantes dans le ciel. »
DOUBLE VUE
« Un reportage de qualité prend du temps : il faut traiter les images, faire des sélections, choisir les vues, explique Fillon. Il faut aussi choisir le point de vue, essayer des cadrages décalés d’un pas si l’on a un doute… » Pour photographier le cinéma Étoile, des architectes Hardel et Le Bihan, Vincent Fillon est monté dans les tours Mercuriales, à 2 kilomètres du site. À cette distance, la situation du bâtiment, entre Paris et sa banlieue, enjeu de l’aménagement, devenait évidente.
En marge des commandes, Fillon réalise des travaux personnels. Dans les clichés de la série entre-deux, deux vues combinées sur une seule image créent un espace qui n’existe que par le montage photographique.
« Je voulais des images oniriques, faire exister le lieu par une intervention, à la manière des installations d’un Georges Rousse. L’architecture du lieu s’y prêtait, de même que son état vide, qui le privait de tout élément signifiant une quelconque fonction. » Volontairement, Fillon refuse de communiquer l’adresse du bâtiment : « Cela permet au spectateur de rentrer dans l’image sans la regarder à travers le prisme de l’utilitarisme. Évoquant cette série, les gens me parlent de palais palermitains, de palais des glaces, d’hospices, des interprétations qui renvoient à des émotions très personnelles. Au-delà du labyrinthe oculaire, une histoire se crée, on parle de rapport au temps, au patrimoine. » Ce procédé ne fait pas système : le photographe n’entend pas le reproduire en tout lieu. La nouvelle série de l’artiste porte sur le crépuscule, la cicatrice et le deuil. Un nouveau pas de côté, cette fois-ci dans le paysage contemporain.